La proposition de loi présentée en janvier 2023 par des députés RN afin de rendre obligatoire dans les écoles et les collèges publics « le port d’une tenue uniforme aux couleurs de l’établissement scolaire » est ordonnée à un but de neutralisation des « distinctions sociales ou culturelles à caractère vestimentaire ». L’exposé de motifs précise que la loi ambitionne de remédier non seulement aux « jalousies et rivalités » suscitées par les « différences de niveau de fortune » des parents, capables d’acheter ou non des vêtements de marque, mais qu’elle cherche également à résoudre « les tentatives répétées d’imposer dans les établissements publics des tenues à caractère religieux ou ethnique »1https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/16/textes/l16b0254_proposition-loi#.
Au regard de ce qui se passe à l’étranger, et notamment dans le monde anglo-saxon, uniforme et neutralisation des signes religieux ne vont pourtant pas forcément de pair. Aux États-Unis, le cadre juridique rend possible des politiques d’uniforme à l’école à condition que celles-ci soient mises en compatibilité avec le respect de la liberté d’expression garantie par le premier amendement de la constitution. Dès la fin des années 1960, dans un contexte de lutte pour les droits civiques, la justice a invalidé des règlements prohibant le port de brassards noirs par les élèves voulant manifester leur opposition contre la guerre du Vietnam. Le Religious Freedom Restoration Act, voté en 1993 par le Congrès, a consolidé le droit à la liberté religieuse, notamment dans le champ éducatif. Les écoles publiques permettent généralement des accommodements pour les élèves souhaitant porter des signes religieux. Toute interdiction doit être motivée par des motifs impérieux, très difficilement justifiables2Voir le site de l’Anti-Defamation League : https://www.adl.org/resources/tools-and-strategies/dress-codes. Les élèves ayant contesté devant les tribunaux des règlements scolaires interdisant le port d’accessoires religieux (foulards, chapelets, turbans) ont généralement eu gain de cause3Voir l’analyse de Sulema Carreon Sanchez et Phoebe Schlanger sur le site de l’Intercultural Development Research Association (août 2018) : https://www.idra.org/resource-center/religion-equity-and-school-dress-codes/.
Au Royaume-Uni, la situation est relativement analogue. Il importe de souligner que contrairement à ce à quoi aurait abouti la proposition du RN si elle avait été votée, il n’y existe, pas plus qu’aux États-Unis, de loi rendant l’uniforme obligatoire pour tous les élèves. Le ministère de l’Éducation laisse les autorités des établissements scolaires, qu’ils soient publics ou privés, libres d’imposer ou non un uniforme et, si telle est l’option choisie, de le définir. Dans les années 2000, une série de procès initiés par des parents d’élèves dont les enfants s’étaient retrouvés confrontés à l’interdiction du port d’accessoires religieux, considérés comme contraires à la politique d’uniforme de leur établissement, ont abouti à des verdicts contrastés. Une élève chrétienne souhaitant porter un anneau de chasteté et une élève musulmane désireuse de se vêtir d’un jilbab ont été déboutées, mais une élève sikh revendiquant le droit de porter un bracelet religieux a obtenu gain de cause. Par rapport aux États-Unis, la justice britannique semble prendre davantage en considération la liberté des autorités scolaires en matière de choix éducatifs. Mais le ministère de l’Éducation, dans ses directives, enjoint les responsables d’établissements à respecter la diversité des visions du monde et des croyances, et considère qu’il est possible de faire droit aux requêtes religieuses en aménageant les règles vestimentaires4Nuno Ferreira et Marie Moscati, « Religious freedom and school uniforms : Shabina Begum, ten years on », Social-Lega Studies Association Blog [en ligne], 28 avril 2017 : http://slsablog.co.uk/blog/blog-posts/religious-freedom-and-school-uniforms-shabina-begum-ten-years-on/. Pour la rentrée 2022, le ministère de l’Éducation britannique a produit une page sur laquelle on peut lire :
« [traduction] Nous pensons que les écoles doivent être ouvertes à toutes les confessions et être des espaces sûrs où les élèves peuvent exprimer librement leurs croyances religieuses. Les écoles doivent être attentives aux besoins des différentes cultures, races et religions et agir raisonnablement pour répondre à ces besoins, sans compromettre les objectifs scolaires importants, tels que la sécurité ou la discipline. […] Les chefs d’établissement doivent être disposés à examiner les demandes raisonnables de flexibilité de la politique en matière d’uniformes afin de tenir compte de la religion ou des croyances, de l’origine ethnique, du handicap ou d’autres circonstances particulières5https://educationhub.blog.gov.uk/2022/09/01/back-to-school-week-school-uniform-what-you-need-to-know/. »
À travers ces exemples, on voit que les politiques locales d’uniforme scolaire peuvent s’inscrire dans un paradigme inclusif, dans la mesure où les droits des minorités, notamment en matière d’expression religieuse, sont garantis par l’État, et qu’il existe des pratiques d’accommodements raisonnables. Des éléments vestimentaires communs contribuent à construire la cohésion, mais les possibilités de « customisations » permettent de faire droit aux demandes de reconnaissances des singularités. Par ailleurs, dans un certain nombre d’écoles anglo-saxonnes, l’uniformité des habits va de pair avec une approche multiculturelle, selon laquelle la diversité est perçue comme une chance qui enrichit le collectif. Paradoxalement, faire droit au besoin d’unité à travers des accessoires communs permet peut-être, dans certains contextes, une plus grande ouverture à la diversité ethnique et religieuse.
On le voit, on est loin du projet du RN, dans lequel l’État s’arroge un pouvoir de police du vêtement scolaire en imposant nationalement l’uniforme, sans aucune considération de l’autonomie des établissements scolaires (qui resteraient simplement libres du choix de la couleur), ni de la liberté individuelle des élèves. Alors que la politique d’uniforme est référée en contexte anglo-saxon à des objectifs éducatifs positifs (développement d’un esprit d’établissement ou de l’estime de soi, apprentissage des codes vestimentaires professionnels, réduction de la visibilité des écarts socio-professionnels…), la proposition du parti nationaliste est associée à une finalité négative (mettre fin aux tenues religieuses et ethniques). Dans un système scolaire qui, à l’échelle des démocraties occidentales, est déjà restrictif en matière de liberté d’expression des convictions religieuses, la proposition, qui relève d’un assimilationnisme forcené, apparaît particulièrement inadéquate et dangereuse.