Note

Notes sur les spécificités de la laïcité américaine

Publié le 11/11/2022 par Vigie de la Laïcité
Avec Nicolas Cadène

Publié le 11/11/2022
Par Vigie de la Laïcité
Avec Nicolas Cadène

À l’occasion des #Midterms2022 (où on peut quand même se satisfaire qu’il n’y ait pas le raz-de-marée trumpiste tant redouté), voici un petit rappel sur la « laïcité » Outre-Atlantique, sur les attaques du camp ultra-conservateur contre le principe de séparation aux USA, et aussi, sur quelques idées reçues ici…

Aux États-Unis, paradoxalement, en dépit d’une religiosité forte et omniprésente, notamment en politique, l’État fédéral et les organisations religieuses sont juridiquement séparées (et ce, depuis le Premier amendement de 1791, soit avant la 1ère séparation française de 1795 puis celle définitive de 1905).

Déjà, à l’inverse de ce qu’on entend souvent, on constate une vraie différence avec le Royaume-Uni (autre pays anglo-saxon) où l’Église anglicane reste attachée à l’État (il n’y a pas de séparation) et dirigée par le roi (par exemple, un roi ne peut y être catholique).

Et, contrairement à la France, l’administration américaine ne peut pas subventionner d’écoles privées confessionnelles (la séparation est donc bien réelle).

Deux récentes décisions de la Cour suprême, à la suite des nominations ultra-conservatrices de Donald Trump, peuvent pourtant changer la donne… La jurisprudence reste à ce stade (à peu près…) celle, laïque, de l’arrêt Everson de 1947 : « Ni un État, ni le gouvernement ne peuvent adopter des lois aidant une religion, toutes les religions ou préférant l’une par rapport à l’autre ». Mais, depuis les nominations de Ronald Reagan et Gorges W. Bush à la Cour suprême, des aides indirectes ont été rendues possibles pour des écoles privées confessionnelles, via des bons scolaires. C’est une faille dans laquelle s’engouffre la Cour dernièrement. Encore en juin dernier, la Cour suprême, dominée par les conservateurs, a jugé que les écoles religieuses ne pouvaient être exclues d’un programme de l’État du Maine offrant une aide aux frais de scolarité pour l’enseignement privé.

Historiquement maintenant, rappelons que la logique américaine qui aboutit à la séparation entre l’État et les cultes a, d’une certaine manière, été inverse de la française. Il s’agissait pour les premiers immigrés américains, des Européens parfois contraints à l’exil s’ils voulaient pratiquer librement leurs cultes, de refuser toute tutelle du nouvel État sur leurs religions et leurs pratiques religieuses. La « liberté de religion » devait être défendue avant tout.

À l’inverse, en France, par la séparation des Églises et de l’État de 1905, il s’agissait d’abord de libérer ce dernier d’une emprise très forte de l’Église catholique à la fois sur l’ordre politique et la vie sociale, et ainsi d’assurer les mêmes droits pour tous, qu’ils soient catholiques ou non, et enfin également assurer la paix civile. Ainsi, la différence entre les États-Unis et la France est donc que dans l’un (USA) la religiosité est très forte quand dans l’autre (France) la sécularisation est très importante, même si ces deux pays ont été, institutionnellement, largement laïcisés.

Alors, vous me direz, « oui mais aux USA, les Présidents prêtent serment sur la bible et les justiciables également dans les procès ». Oui… mais non. En réalité, les Présidents peuvent prêter serment sur n’importe quel texte choisi par le concerné, et pas seulement donc sur la bible. Il ne s’agit le plus souvent que d’un mimétisme reproduit depuis la prestation de George Washington. Il en est de même lors des procès. John Quincy Adams avait prêté serment sur un livre de droit. Roosevelt l’a fait dans la précipitation et donc sur aucun texte, comme Lyndon Johnson d’ailleurs.

Quant à la phrase de conclusion « Help me God », c’est aussi du mimétisme depuis Chester A. Arthur, cette adjonction n’est aucunement obligatoire. Notons aussi que l’article VI de la Constitution américaine est le seul qui inclue une référence religieuse… pour interdire les serments religieux lors de l’accès aux emplois dans l’administration fédérale. C’est encore là « le mur de séparation » voulu par Thomas Jefferson.

Là encore, vraie différence avec le Royaume-Uni où tout titulaire d’une charge publique se doit d’attester des doctrines religieuses de l’Église anglicane (et de prêter allégeance au souverain, tandis qu’aux USA, on ne prête allégeance qu’à la Constitution).

Mais vous me parlerez aussi de l’ajout en 1956, comme devise officielle, de « In god we trust » et son inscription sur les billets de banque.

Mais, là encore, c’est à relativiser : si cela renvoie bien à la forte religiosité américaine, cela renvoie aussi à la croyance en un peuple américain « béni », assez imprécise. De plus, à l’époque, les USA voulaient bien marquer une opposition à l’athéisme, symbole du communisme soviétique.

Enfin, rappelons que la devise historique des USA est celle latine « E Pluribus Unum » (« de plusieurs, un »). C’est elle qui figure sur le grand sceau des USA, emblème de facto du pays et apparaissant sur tous les documents officiels, comme le passeport américain (d’ailleurs,devise peu éloignée de celle de l’UE). Vous me direz encore qu’il y a beaucoup de symboles religieux dans les bâtiments publics américains. Je vous répondrai : c’est plus compliqué. Et sur la question sensible des crèches de Noël, si en France elles sont interdites en principe dans les espaces publiques, il y a des exceptions. Aux USA, les crèches de Noël sont possibles, mais uniquement si elles apparaissent d’abord comme non strictement religieuses, avec des symboles aussi séculiers. Ce qui renvoie, un peu, à l’exception autorisée en France si la crèche s’apparente à une exposition ou un folklore traditionnel. Sur la question des grandes croix fixées dans l’espace public, généralement, le juge US conclut à l’interdiction d’en ériger ou d’en maintenir, mais il y a des exceptions selon leur histoire et leurs caractéristiques en l’espèce… (en France, celles d’avant 1905 peuvent d’ailleurs continuer d’être entretenues).

Mais vous me direz encore qu’il y a de larges mentions à la religion dans l’Éducation et au Congrès. Vrai ! Même si la Cour suprême considère qu’il s’agit là d’une « reconnaissance tolérable de croyances majoritairement partagées » et qu’une expression d’une « religion civile » (Hum).

Puis il y a le sujet du port de signes religieux : si aux USA certains fonctionnaires sont astreint à une neutralité – y compris d’apparence – comme en France, la tendance est à une acceptation plus large du port de signes religieux « sauf si l’ordre public et la sécurité sont en jeu ».

Bref, les États-Unis ont bien un « mur de séparation » avec des institutions neutres et areligieuses. En revanche ils défendent une très large liberté de religion fondée sur des droits individuels en la matière très conséquents.

Pour aller plus loin, mon ancien article pour celles et ceux que ça intéresse, paru dans la revue diplomatique américaine Foreign Policy : https://foreignpolicy.com/2021/04/07/french-secularism-isnt-illiberal/

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