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Médias, religions et laïcité : d’un sens diffusé à un sens allégué…

Publié le 01/10/2025 par Vigie de la Laïcité
Avec David Douyère

Publié le 01/10/2025
Par Vigie de la Laïcité
Avec David Douyère

Les médias sont des vecteurs de production et de diffusion de sens qui relient imaginairement vers un « centre » et un lieu où il se passe(rait) quelque chose. Les religions et la laïcité sont présents socialement aussi via ces médias. Afin d’en former le cadre, dans un contexte de laïcité républicaine, qui permet aux religions de s’exprimer et de diffuser du sens. Mais aussi peut-être afin de proposer des contenus ayant pour but d’expliquer et de mieux faire comprendre ce qu’est la laïcité, qui est non pas une forclusion du religieux, mais sa possibilité, sans nécessité, et sa contenance. Car, pour faire passer leur message et leurs témoignages, leurs rappels à la pratique, leur soutien à la compréhension du sens juste du religieux, les religions doivent aussi passer par les médias. Cela leur est nécessaire pour exister dans l’espace public, dont elles n’ont plus ou pas (encore) le contrôle sur le plan de l’expression, même si elles peuvent disposer d’importants moyens financiers. Une certaine critique du religieux s’exprime toujours actuellement dans les médias, même si faiblement et essentiellement sous un mode satirique, militant ou de revendication et de lutte politique. Cela recouvre par exemple une lutte contre la droite catholique, l’islam iranien ou autre, le judaïsme orthodoxe israélien. Cette critique peut aussi se déployer dans une perspective féministe. On peut toutefois remarquer que l’athéisme matérialiste ou anarchiste, en dehors de quelques mèmes, s’exprime quant à lui fort peu en tant que tel dans les médias ou sur les réseaux sociaux, leur nécessaire complément, devenu un espace de visibilité avant le développement de l’IA générative grand public.

Naturellement, le regard médiatique sur le religieux fait rarement droit à sa dimension spirituelle et intime, mais en fige plutôt la représentation à quelques codes et rites extérieurs ou quelques paradoxes (sur leurs relations à la tradition et à la modernité, par exemple). Les courants néo-traditionnalistes, plus aisément représentables dans les medias, car plus visibles, priment ainsi sur les courants libéraux, plus ouverts à la modernité. Les premiers sont ainsi plus facilement couverts en raison de l’inquiétude qu’ils peuvent (parfois légitimement) susciter. L’action sociale et l’étude religieuses semblent enfin très peu représentées médiatiquement, en tout cas dans les médias non confessionnels.

Religions dans les médias : une information nécessaire

Les médias informent sur les religions, quand ils approuvent en partie leur action, que ce soit implicitement ou explicitement (Le Figaro, CNews et les médias du groupe Bolloré), mais de façon généralement différenciée selon les religions dont il s’agit. D’autres medias construisent une distance supposée neutre (médias publics) en leur conférant, pour certains, une place d’expression culturelle ou rituelle dédiée, le dimanche matin (France 2, « Les chemins de la foi » ; France Culture). D’autres s’y opposent plus explicitement (Marianne, un temps ; Charlie Hebdo…). La nature de la religion modifie en effet le régime de traitement médiatique et certains médias sont plus sensibles à telle dimension religieuse et plutôt hostiles à telle autre, selon aussi la position et l’origine sociale majoritaire des croyants.

Cette information que donnent les médias sur les religions est importante car elle vient satisfaire un intérêt et une préoccupation légitimes des citoyens. En effet, ce que font, élaborent et prévoient les religions leur importent, au-delà de leur richesse spirituelle, culturelle et poétique propre. Et c’est particulièrement vrai quand celles-ci portent un programme spécifique sur un certain nombre de questions sociales, familiales, éthiques et sexuelles1Je renvoie ici au documentaire de Thomas B. Johnson, « Les évangéliques à la conquête du monde » (3 x 52’), Artline Films / Arte, France, 2023, conçu avec  le sociologue Philippe Gonzalez et à l’ouvrage de ce dernier, Que ton règne vienne ! du (Labor & Fides, 2014) sur le programme culturel et social des chrétiens évangéliques charismatiques au niveau mondial.. Or ces questions ne font pas l’objet de consensus dans notre espace démocratique pluraliste. Connaître la position des religions sur la fin de vie, l’aide à mourir et le suicide assisté, l’homosexualité, l’avortement, la gpa, les transidentités est important pour toutes et tous… et peut être parfois intéressant et pertinent pour le débat démocratique. C’est cela d’ailleurs que permet précisément la laïcité : une approche pluraliste ouverte, et explicite.

Une défiance à l’égard du discours sur la laïcité…

Il est aisé d’identifier une communication religieuse très active dans l’espace public, puisque les religions sont, comme l’indiquait le sémiologue Enzo Pace, des « systèmes de communications », qui soit mobilisent des médias soit s’y infiltrent, ou qui sont évoquées par eux. Il est en revanche plus difficile d’identifier une « communication laïque » ou une communication sur la laïcité, menée de façon active et large, par l’institution républicaine française, en dehors de quelques pages dédiées de sites web. Des communications de ce type sont aussi parfois menées au sein des partis politiques, souvent dans le but de défendre la laïcité comme une valeur. Dans ce cas, on est plutôt enclin à penser qu’il s’agit d’une sorte de paravent pour dissimuler une passion inavouable visant à l’exclusion d’un certain religieux, d’origine déterminée, essentiellement musulmane. La laïcité semble donc peu faire l’objet d’une communication positive. Peut-être parce qu’il s’agit d’une notion qui porte en creux une opération constructive mais pensée comme négative : la séparation (puisque tel est le vrai nom de la loi de 1905). Si l’on saisit la laïcité comme une déconnexion du religieux du pouvoir civil, une lutte contre l’emprise possible du religieux sur les esprits et les corps dès lors que celle-ci n’est pas librement consentie, on comprend qu’une telle communication n’est pas simple.

Une double difficulté amène aussi une partie du public à se défier de la communication à propos de la laïcité, car celle-ci occulterait, et pourrait cacher quelque chose : un rejet de « l’étranger », ou une expression « communautaire » Dans un premier cas, dans le cadre de discours luttant contre la prétendue « islamisation de la société », la notion de laïcité vient servir de rempart contre l’étranger (ou supposé tel), et surtout l’étrangère voilée, et l’étranger barbu. Cette laïcité est soupçonnée d’être le paravent d’un discours raciste et xénophobe, paré ainsi de vertu républicaine et prenant alibi de la religion. Le Rassemblement national s’inscrit désormais clairement dans cette perspective. Mais, parfois, des premiers ministres (F. Fillon) ou des ministres de l’Intérieur (B. Retailleau), adoptent ce discours qui ne paraît pas immédiatement contestable, puisque le principe en est vrai. Si on ne peut pas non plus critiquer « l’instrumentalisation », puisqu’après tout se servir d’un principe est normal, on peut relever néanmoins un dévoiement ou un détournement d’usage du principe de laïcité.

Le second cas d’occultation est celui d’un certain nombre de discours sur la laïcité tenus par des acteurs dont on peut penser ou imaginer qu’ils appartiennent ou ont appartenu à la Franc-Maçonnerie, et notamment au Grand Orient de France, institution qui fonde son histoire séculaire sur son lien avec la République et accorde à la laïcité un rôle central. Il existe certes plusieurs conceptions de la place du religieux au sein de la Franc-Maçonnerie, selon les rites pratiqués (français, écossais) et les obédiences, allant du spiritualisme ésotérique au matérialisme athée, éventuellement anarchiste. Ce qui est caché ici, dans leur expression médiatique, c’est l’origine philosophique et fraternelle (au sens de sociétés fraternelles) de ce discours qui est construit par une communauté « formée de gens libres et de bonnes mœurs » dont il représente l’une des identités. Il y a donc une communication sur la laïcité, dans l’espace public, qui ne dit pas ses origines, n’indique pas le cadre de son énonciation et qui entend diffuser à l’extérieur du temple maçonnique les vérités acquises dans ce dernier, dans un effort incessant, comme l’y invitent certains de ses rituels. Cette origine est néanmoins bien perçue, ou imaginée comme telle, par un certain nombre d’acteurs, particulièrement critiques à leur égard (notamment en milieu catholique). On gagnerait donc, afin d’éviter toute ambiguïté et toute suspicion, à éclaircir le cadre générateur de ces discours maçonniques qui ne disent pas leur nom, sur la laïcité. C’est en effet une difficulté que ce « codage » implicite de la notion de laïcité, son origine non dite, qui fausse un peu le débat public, là où les Francs-Maçons devraient pouvoir, pour certains, s’exprimer à découvert, comme le font d’ailleurs certaines de leurs obédiences ou associationsproches comme le Grand Orient de France ou le Comité Laïcité République. Aborder ce point est évidemment assez délicat, mais il s’agit d’une réelle composante de la communication sur la laïcité dans l’espace public, qui n’est ignorée par (presque) personne, et pourtant absente des recherches menées dans l’espace universitaire, que cette confusion entre communication républicaine et communication maçonnique sur la laïcité dans les médias.

Exposer le religieux, et la laïcité, dans les médias

Sans doute conviendrait-il donc de parler davantage des religions dans les médias, de faire connaître à la fois les actions et les croyances, les régimes de pensée, dans la perspective initiée au début des années 2000 par Régis Debray de mieux développer une connaissance historique, culturelle et sociale du religieux à l’école. Cette information devrait pouvoir se faire sans craindre de se faire le relai du prosélytisme ou de dynamiques d’évangélisation. Elle serait une façon de montrer que le religieux, et le « spirituel », dans leurs formes libres et variées, ont toute leur place dans la République, à côté des matérialismes athées, de l’incroyance, de l’agnosticisme, et de l’indifférence absolue à ces questions. La communication de la laïcité est donc encore à construire patiemment et résolument, dans tous les médias, numériques ou non, mais pourvu que cela reste toujours dans une perspective à la fois ouverte et critique.

David Douyère, Professeur de sciences de l’information et de la communication à l’université de Tours, laboratoire Prim (UR 7503) ; responsable du réseau de recherche Relicom, Communication et espaces du religieux.

Notes de bas de page

  • 1
    Je renvoie ici au documentaire de Thomas B. Johnson, « Les évangéliques à la conquête du monde » (3 x 52’), Artline Films / Arte, France, 2023, conçu avec  le sociologue Philippe Gonzalez et à l’ouvrage de ce dernier, Que ton règne vienne ! du (Labor & Fides, 2014) sur le programme culturel et social des chrétiens évangéliques charismatiques au niveau mondial.

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