Cette interrogation (qui pourrait être portée sur l’ensemble des sportifs à propos de tout signe religieux) a suscité de nombreux débats, notamment à l’occasion des Jeux Olympiques (JO) de Paris 2024 et l’interdiction rappelée aux athlètes françaises de manifester d’une quelconque manière une appartenance religieuse et, en l’espèce, de porter un foulard.
Avant d’y répondre, il est nécessaire de savoir si cette interdiction faite aux sportives françaises en sélections nationales de porter un foulard est conforme au droit français et s’il se fonde sur le principe de laïcité.
Bien que très discutée, cette interdiction est conforme au droit. Une décision du Conseil d’État du 29 juin 2023 (qui portait sur les statuts de la fédération française de football) précise en effet que le principe de neutralité du service public s’applique aux personnes sélectionnées dans les équipes de France par les fédérations sportives, elles-mêmes délégataires d’un service public et de ce fait considérées comme représentant l’administration publique. Le Conseil d’État précise que les personnes sélectionnées sont soumises à l’autorité et au pouvoir de direction des fédérations délégataires pour le temps des manifestations et compétitions auxquelles elles participent. L’Observatoire de la laïcité avait déjà, avancé, dès 2015, cette hypothèse (il n’y avait alors encore eu aucun jugement), mettant en avant le lien juridique entre les personnes sélectionnées et les fédérations qui exercent une mission de service public. Il avait cependant souligné une certaine fragilité au raisonnement, du fait de relations plus ou moins étroites avec les sportives selon les fédérations, et, en appuie d’une éventuelle relation contractuelle, du fait de rémunérations de la part de ces dernières qui ne sont pas toujours effectives.
Quoi qu’il en soit, il est à noter que ce qui vaut pour les sportives sélectionnées dans l’équipe nationale française ne vaut pas pour les sportives de clubs privés professionnels en France. En effet, dans ce dernier cadre, les sportives (par exemple, les footballeuses) ne sont pas juridiquement liés à une fédération délégataire d’un service public (même si elles y sont licenciées) et ne représentent dès lors pas l’administration, mais seulement un club privé. C’est pourquoi, s’il y a interdiction de signes religieux (ce qu’a souhaité la FFF dans le football, par exemple), elle ne peut s’appuyer que sur la tenue réglementaire du sport en question, sur le respect des règles du jeu, sur des critères d’hygiène et de sécurité et sur la nécessité d’assurer le bon déroulement des matchs.
Ainsi, la neutralité de fait de certaines sportives dans des compétitions nationales de clubs sportifs privés ne découle pas du principe de laïcité, mais du respect de l’ordre public (sécurité et bon déroulement des rencontres sportives, sûreté, hygiène, propreté), des règles du jeu et des règlements sportifs techniques (tels qu’ils peuvent être prévus au niveau d’une fédération), comme par exemple le respect de la tenue vestimentaire indispensable à la pratique d’une discipline sportive et conforme aux règles de la compétition.
C’est en s’appuyant sur le premier point que le Conseil d’État a admis que la FFF puisse poser des restrictions au port de signes religieux, en l’espèce, le foulard dans les compétitions de clubs privés. S’il s’agit de considérer le simple port du voile comme troublant l’ordre public et le bon déroulement du match (le Conseil d’État parle la prévention d’« affrontements » ou de « confrontations »), cela ne paraît cependant pas très convaincant. S’il s’agit de définir ce trouble au bon fonctionnement du match comme renvoyant simplement à la sécurité des joueuses, l’approche peut être considérée comme plus objective (par exemple, il peut être dangereux de se voir agrippée par un foulard en pleine action).
En revanche, on voit mal comment pourrait se justifier l’interdiction, dans le cadre de clubs sportifs privés, de porter un simple couvre-chef qui serait conforme à la tenue réglementaire, sans gêne occasionné sur le bon déroulement de la rencontre et sans remise en cause de la sécurité des joueuses.
Pour résumer, si, au sein des sélections nationales, le principe de laïcité peut justifier une demande de neutralité des sportives, au sein des clubs professionnels, seuls des critères objectifs de sécurité, d’hygiène (on peut le retrouver en natation), de respect des règles du jeu et des tenues réglementaires pourront être avancés pour d’éventuelles restrictions au port de signes religieux.
Par ailleurs, il est à noter que statutairement, en France, les arbitres et juges sportifs sont soumis au respect du principe de neutralité. Ce principe vaut aussi pour les dirigeants et encadrants des ligues professionnelles. Bien que dotées d’une personnalité juridique à caractère privé, en vertu de l’article 132-1 du code du sport, les ligues professionnelles peuvent se voir accorder une mission de service public à partir du moment où elles sont créées. En effet, selon cet article, une fédération sportive peut « créer une ligue professionnelle, pour la représentation, la gestion et la coordination des activités sportives à caractère professionnel des associations qui leur sont affiliées et des sociétés sportives». Le Conseil d’État y voit ce que l’on appelle une subdélégation de la mission de service public conférée aux fédérations sportives délégataires1Arrêt LNR, Conseil d’État, 12 avril 2017.. Dès lors, les règles de neutralité liée à toute mission de service public s’appliquent automatiquement. Ce principe est étendu au Comité national olympique et sportif français (CNOSF)2Arrêt CNOSF, Conseil d’État, 10 janvier 2007.. En effet, le Conseil d’État reconnaît le CNOSF comme organisme chargé d’une mission de service public administratif. Il s’étend de la même manière au Comité paralympique et sportif français (CPSF).
Qu’en est-il désormais des athlètes internationales ? Les règles peuvent varier d’un pays à un autre, d’une fédération nationale à une autre.
Dans la plupart des sports, le port du foulard est désormais autorisé par les fédérations étrangères, dès lors qu’il s’agit d’un accessoire qui ne remet pas en cause la pratique sportive. En ce sens, pour le football, notons que l’IFAB3L’International Football Association Board (IFAB) (en français : « Conseil international du football association ») est l’instance qui détermine et fait évoluer les règles du jeu du football. Elle est composée de représentants de la Fédération internationale de football association (FIFA) et des quatre fédérations britanniques « pionnières » du football, les fédérations anglaise, écossaise, galloise et nord-irlandaise. autorise tous les couvre-chefs non protubérants dès lors qu’ils ne constituent de danger ni pour le joueur ou la joueuse qui le porte ni pour autrui.
Le Comité internationale olympique (CIO), quant à lui, laisse les États qui envoient leurs délégations aux Jeux Olympiques, via leurs fédérations sportives, définir leurs propres règles. Lui-même n’interdit pas le port d’un foulard, s’il est compatible, par son port, avec la pratique sportive. En revanche, tout comportement prosélyte sera interdit, et tout port de signe qui ne respecterait pas la tenue réglementaire et mettrait à mal la rencontre et le respect des règles du sport concerné.