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Islam et politiques de formation : la sidération des enseignants dans l’attente des élites de demain. Expériences belges.

Publié le 24/03/2025 par Vigie de la Laïcité
Avec Louis-Leon Christians

Publié le 24/03/2025
Par Vigie de la Laïcité
Avec Louis-Leon Christians

En Belgique francophone, à la suite des travaux d’une commission interuniversitaire mandatée par le Ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque, une législation du 14 décembre 2016 a créé un « institut de promotion des formations sur l’islam » (www.ipfi.be). Cet organisme public indépendant a pour mission « de proposer, soutenir et financer des formations à destination des imams, des maîtres et professeurs de religion islamique, des conseillers islamiques, des acteurs socioculturels ou tout autre public intéressé par l’islam ; assurer la mise en réseau de ces formations; (…) travailler à la création d’un Bachelier en sciences religieuses et sociales et d’un Master en théologie musulmane; (…) travailler à la création, soutenir et financer une « Chaire interuniversitaire d’islamologie pratique » annuelle visant l’analyse réflexive, critique, de la pensée arabo-musulmane dans ses dimensions historiques et contemporaines et enfin de poursuivre la réflexion au sujet de la création d’une « Faculté de théologie musulmane », en collaboration avec la Communauté flamande si possible ».

Depuis l’inauguration de ses travaux en 2018, cet institut a effectivement créé, en priorité avec l’appui des universités, ladite Chaire interuniversitaire d’islamologie pratique qui permet actuellement aux trois universités principales de Belgique francophone de bénéficier de professeurs invités pour enrichir leurs programmes de façon récurrente. De même, cet Institut a soutenu le lancement ou la poursuite de formations continues des professeurs de religion islamique de l’enseignement public belge, de formations linguistiques à destination des imams de mosquées reconnues, ou encore de formations ouvertes à des acteurs socioculturels intéressés. Enfin, bien que les enjeux soient complexes, les travaux exploratoires ont été lancés quant à la création d’un master en théologie islamique voire de la reconnaissance à terme d’une « faculté de théologie musulmane ».

Ces politiques de soutien à des formations spécialisées en islam en vue de déployer des conduites sociales honorant à la fois la diversité culturelle, l’esprit critique et le vivre en commun, s’inscrivent dans une perspective top-down : contribuer à renforcer une « élite musulmane » adéquate, via des programmes universitaires, libres ou contraints, focalisés sur des contenus de savoir. On s’inscrit là dans une perspective à moyen ou long terme : associer savoir citoyen et ouverture culturelle en vue de formater de futurs cadres musulmans demeure une approche dont le succès est complexe à construire et dont les effets de percolement social sont lents — à moins de ne viser là que l’immédiateté d’un goulot sécuritaire implicitement délégué à des institutions de formation.

Or, l’islam lui-même n’échappe pas, dans les sociétés sécularisées, à la spirale de l’individualisme et à la déconsidération progressive qui en découle à l’encontre de toute réalité institutionnelle, y compris religieuse. Cette situation ouvre paradoxalement une fenêtre d’opportunité pour de nouveaux influenceurs « individuello-compatibles », à travers les réseaux sociaux et d’autres dispositifs apparemment déformalisés. Il en résulte une mobilisation « sauvage » des référents islamiques en dehors même de tout rôle des « cadres musulmans » dont les politiques publiques entendaient renforcer les formations. Ce ne sont pas là des constats nouveaux. Comment toutefois prendre ceux-ci au sérieux dans le cadre de l’évolution nécessaire des politiques publiques de formation ?

L’Institut belge a entamé en 2023 une mutation de ses politiques de soutien en vue d’être en prise plus directe avec des filières de professionnalisation de base, visant par exemple les intervenants en soin de santé, en accompagnement social et culturel, etc.  Les univers scolaires appellent toutefois une approche plus prioritaire encore. La gestion quotidienne des adolescents semble de plus en plus difficile : l’actualité montre qu’une réponse purement prohibitive risque de conduire à des effets de renforcement contreproductifs. Une approche « préventive » laissée à la police administrative ou aux dispositif de renseignements, outre leurs risques pour un Etat de droit, laisse aussi les adolescents hors radar. Conclusion : les formations centrées « autour de l’intégration de l’islam », ne devraient plus se borner à des « contenus » destinés à de futures élites, mais devraient aussi intégrer des « méthodes » bottom-up, pédagogiques, communicationnelles et organisationnelles,  destinées aux enseignants de première ligne face à leur public. Certes non pour aggraver le risque d’auto-censure dans le chef des enseignants, mais au contraire pour mettre ceux-ci en capacité grâce à des instruments et méthodes adaptés aux clés spécifiques dont les adolescents musulmans ont bien perçu l’efficacité inouïe. Le désarroi croissant des enseignants est un constat grave, mais il appelle précisément le dépassement d’une simple position victimaire. Si des balises sécuritaires demeurent évidemment nécessaires lorsque des lignes rouges sont franchies, des éléments de savoir spécifique pourraient être mobilisés pour mieux juguler les peurs et contribuer à une désescalade des narratifs.  Il s’agirait ainsi de mieux gérer le temps de rébellion « psychologique » des adolescents, en anticipant des clés pédagogiques adaptées à la diversité des publics, et en l’occurrence à la déconstruction d’éléments de langage, dans la solidité est en fait bien peu assurée. Telle est une des voies, nouvelle et complémentaire, dont le chantier s’ouvre pour l’Institut belge francophone de promotion des formations sur l’islam. Conformément au principe de neutralité de l’État belge, il n’appartient pas à cet institut de mobiliser directement ce type de formation, mais de l’encourager par des appels à projets qui ont été lancés début 2025 auprès des établissements de formation des professeurs des écoles.

 

Louis-Leon Christians
Titulaire de la Chaire Droit et Religions de l’Université de Louvain
Co-président de l’institut de promotion des formations sur l’Islam

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