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Entretien avec Mme Elisabeth Walbaum, représentante de la Fédération d’entraide protestante et premier Prix Vigie de la laïcité

Publié le 05/12/2025 par Vigie de la Laïcité
Avec Daniel Verba, Elisabeth Walbaum

Publié le 05/12/2025
Par Vigie de la Laïcité
Avec Daniel Verba, Elisabeth Walbaum

Pourriez-vous brièvement présenter la Fédération et ses missions ?

 

La fédération de l’Entraide Protestante rassemble, anime et soutient l’action sociale protestante soit plus de 370 associations, 1000 établissements, 32000 salariés, 19000 bénévoles. On estime à 1 million le nombre de personnes accompagnées chaque année pour un poids économique de 2.7 milliards d’euros.

Nous réunissons des associations sociales, médico-sociales et sanitaires de différents domaines : enfance-jeunesse, handicap, grand âge, santé, précarités, accueil de l’étranger.

Ces associations peuvent être de très petite taille, liées à des paroisses, les « entraides » qui souvent fonctionnent uniquement avec des bénévoles, distributions alimentaires, vestiaires…, mais aussi de très grosses associations qui ont des milliers de salariés, et beaucoup d’associations de taille intermédiaire : 80 EHPAD protestants, une 50aine de Maisons d’enfants à caractère social, des organismes de formation, foyers étudiants, centres de vacances, écoles protestantes… impossible de les citer toutes ! Les protestants ont depuis longtemps été à l’initiative de créations de structures de lutte contre la précarité, et toutes les formes de vulnérabilité. Parmi les plus connues, la Cimade, l’Armée du Salut, les Diaconesses de Reuilly, la Fondation John BOST…

Quelle a été la genèse de l’étude sur la diversité religieuse et l’accueil des personnes de confession musulmane ? De quels constats êtes-vous partie ?

 

Nos associations ont en commun une inspiration spirituelle fondatrice et un principe d’accueil inconditionnel. Elles sont impactées et interpellées par les bouleversements de notre société : sécularisation, débats autour du principe de laïcité, …

Il nous est apparu nécessaire d’analyser et de questionner nos pratiques en matière de prise en compte de la diversité religieuse dans un contexte où, dans leur majorité, les personnes que nous accueillons, mais aussi les salariés et les bénévoles engagés dans notre réseau se réclament de traditions religieuses différentes, et notamment, musulmane.

Dans ce contexte de diversité convictionnelle croissante, nous avons souhaité mener une démarche la plus scientifique possible pour regarder au plus près les éventuels risques de tension non traitées, et la nécessité de cohérence entre valeurs affichées et pratiques institutionnelles…

C’est un chercheur en sociologie,  Vincent Goulet, qui a mené une enquête de terrain, avec plus de 50 entretiens (anonymisés) dans plus de 15 associations, pendant 1 an et demi, accompagné par un comité de pilotage de personnes compétentes que nous avons constitué.

Les entretiens ont été réalisés de manière la plus exhaustive possible : dans toutes les régions de France, dans tous les types d’associations (fondations, institutions, entraides…), avec tous les publics accueillis (enfants, adolescents, personnes en situation de handicap, personnes âgées, malades, précaires, exilées…) et avec tous ceux qui y sont investis (salariés, bénévoles, membres de conseil d’administration, aumôniers/pasteurs…).

Si vous aviez à résumer les résultats de l’étude, quelles seraient vos principales conclusions ?

 

D’abord, le principal courant religieux non chrétien présent dans les associations de la FEP est l’islam, un islam pluriel (culturel, piétiste, parfois puritain et quiétiste, parfois plus politique… et vécu différemment selon les générations).

Globalement, le cadre laïc républicain, la prise en compte de la diversité convictionnelle ou encore le caractère protestant plus ou moins marqué des associations de la FEP ne sont pas remis en cause par les musulmans qui les fréquentent.

Il y a peu de revendications fortes du côté des bénéficiaires musulmans, mais un besoin de reconnaissance certain. Toutes les personnes rencontrées dans le cadre de l’enquête, quelles que soient leurs convictions, expriment une forte demande de discussion sur les questions religieuses.

Les normes et réglementations ne sont pas toujours connues.

Les salariés musulmans qui fréquentent les associations de la FEP sont majoritairement prêts à faire des compromis.

Des tensions peuvent survenir, surtout en cas de non-dits ou d’incompréhensions, en particulier quand les personnels de direction ou les gouvernances sont mal à l’aise ou désorientés face à ces enjeux.

Quelles conséquences pratiques en avez-vous tiré pour l’accompagnement social en général et celui des personnes de confession musulmane en particulier ?

 

D’abord l’importance de la formation interculturelle et spirituelle, ce que nous avons initié en enrichissant l’enquête de 13 fiches pratiques à destination de tous : pour préciser le cadre réglementaire de la laïcité, les pratiques en islam et la manière de développer ses compétences en matière de dialogue interconfessionnel.

Ensuite, nous avons mis en avant la distinction des 3 registres du religieux comme aide à la prise de recul et à compréhension des éventuels points de tension.

On parle ici des dimensions identitaire/culturelle – transmises par les traditions, l’histoire familiale -, politique – moyen utilisé pour exister dans la cité en tant que minorité, souvent de manière revendicative -, et spirituelle – la foi en une réalité transcendante qui impacte tous les aspects de la vie quotidienne du croyant.

Enfin, nous nous sommes appuyés sur les travaux du sociologue Axel Honneth sur la reconnaissance, indispensable à un débat serein. La reconnaissance affective, celle que l’on accorde au premier regard, favorise la « confiance en soi ». La reconnaissance juridique, celle que nous donne le cadre de la loi, renforce le « respect de soi ». Et la reconnaissance solidaire, estime sociale, née du dialogue interculturel, interreligieux, permet « l’estime de soi ».

Plus encore, il nous a semblé que la reconnaissance spirituelle est également un moteur. Tout au long de l’enquête, le « religieux » est apparu présent avec des intensités différentes et dans toutes les dimensions des interactions mais largement refoulé, considéré comme risqué, souvent laissé en jachère, assez peu exploité par les responsables de structures…

Les appréhensions à entrer dans le dialogue sont d’autant plus étranges que les cultures religieuses musulmanes et chrétiennes sont proches : l’islam fait partie de la famille des religions abrahamiques, il se développe sur un fond culturel commun avec le judaïsme et le christianisme.

Qu’est-ce qui vous a motivé à participer au Prix Vigie de la laïcité ?

 

La Fédération de l’Entraide Protestante travaille au quotidien avec ses associations adhérentes, la question de la laïcité. Elle propose des formations, dans son réseau, au module Valeurs de la République et Laïcité et s’informe de toutes les initiatives existantes pour témoigner d’une vision ouverte de ce principe constitutionnel, malmené dans l’espace public.

Notre enquête action montre autre chose que des dysfonctionnements ou des alarmes, nous avons envie de la faire connaitre au plus grand nombre possible. Elle va à contre-courant des idées reçues d’un grand nombre de médias et même de responsables politiques. Ainsi, lorsque nous avons eu connaissance du Prix Vigie de la laïcité, il nous a semblé que la publication que nous venions de réaliser pouvait contribuer à enrichir le travail réalisé d’une ressource supplémentaire. Nous avions le sentiment que notre publication était une mise en pratique des messages forts de la Vigie de la laïcité. C’est ainsi que nous avons participé au prix.

Vous faîtes partie d’une association protestante qui indique dans sa charte qu’elle applique la laïcité. Comment concevez-vous cette articulation entre projet associatif de conviction spirituelle et laïcité ?

 

La Fédération de l’Entraide Protestante est un réseau d’inspiration chrétienne, mais nos associations inscrivent leur action dans le respect strict du cadre républicain. Nous sommes aussi très attachés à la liberté religieuse. Pour nous, la laïcité n’est pas une contrainte, une mise en tension avec notre projet associatif : elle est au contraire une condition de possibilité de notre engagement. Autrement dit, nous sommes laïcs et protestants.

Notre inspiration protestante est d’abord une dynamique éthique : la dignité et l’accueil inconditionnels de toute personne, le refus de toute discrimination, l’attention aux plus vulnérables. La laïcité contribue à créer cet espace commun où chacun peut trouver une place, indépendamment de ses croyances.

En somme, la laïcité ne nous demande pas de renoncer à ce qui nous anime ; elle nous rappelle comment l’exprimer de manière non exclusive. Elle est le cadre dans lequel notre engagement de service, inspiré mais non prosélyte, peut se déployer au service de tous.

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