L’ordonnance rendue le 25 mai 2022 est venue démentir l’avis de nombreux juristes qui tablaient sur l’annulation du recours formé par le préfet (encouragé par le ministre de l’Intérieur) contre le règlement grenoblois du 16 mai précédent. Il faut dire qu’il s’agit de la première utilisation du nouveau déféré créé par la loi du 24 août 2021 confortant les principes de la République, de sorte qu’aucun « cadrage » jurisprudentiel n’est encore disponible. La loi d’août 2021 permet désormais aux préfets de saisir le tribunal administratif de tout acte pris par une collectivité locale dont ils estiment qu’ils porteraient gravement atteinte à « la laïcité ou la neutralité des services publics ». S’il ne fait guère de doute que certains promoteurs du texte visaient précisément l’hypothèse des burkinis dans les piscines (voire des horaires aménagés ou encore des menus des cantines scolaires), il n’en reste pas moins que le sens généralement conféré au principe de neutralité des services publics n’est pas du tout celui-là.
Classiquement en effet, la neutralité des services publics vise le contenu du service (neutralité des programmes scolaires par exemple), des agents qui l’assurent (obligation de neutralité des fonctionnaires et agents publics) ainsi que les lieux dans lesquels il est assuré (neutralité des bâtiments). Il ne s’applique pas, en revanche, aux usagers dudit service. La seule exception à cette construction juridique concerne les élèves des écoles, collèges et lycées (usagers du service public de l’éducation nationale) qui ne doivent pas porter de signes par lesquels ils manifestent ostensiblement leur appartenance religieuse. Mais cette exception a été posée par la loi (loi du 15 mars 2004). Rien de tel ici : aucune loi ne soumet généralement les usagers des services publics sportifs ou récréatifs à une obligation de neutralité religieuse. Ceux-ci conservent donc, au contraire, leur liberté religieuse, y compris lorsqu’ils sont usagers d’un service public.
L’ordonnance du 25 mai rappelle d’ailleurs ce point ; qu’elle complète aussitôt en précisant que néanmoins, nul ne saurait s’affranchir des règles communes au nom de ses croyances. Elle élève ce faisant le règlement intérieur des piscines au rang des règles communes indélogeables, et interprète le règlement de la ville de Grenoble comme fautif de ce point de vue, dès lors que ses dispositions visaient à permettre le port de tenues religieuses.
Le maire de Grenoble a aussitôt fait savoir qu’il ferait appel. Le Conseil d’État pourrait donc se prononcer très vite -le délai législatif étant de 48 heures. Une fois de plus, le burkini enflamme les prétoires. Et contribuera à (re)définir certaines catégories centrales du droit administratif.