Depuis le vote de la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, le climat polémique autour de la laïcité (terme qui est soigneusement évité dans l’intitulé législatif) s’est estompé, même si le gouvernement demeure actif sur ce dossier. Prenons l’exemple de la campagne de promotion de la laïcité à l’école du ministère de l’Éducation nationale, alors dirigé par Jean-Michel Blanquer, lancée le 30 août 2021. On y voit une série de photographies sur lesquelles des enfants, dont on comprend par leurs prénoms qu’ils sont d’origines diverses, partagent les mêmes activités scolaires et « rient des mêmes histoires », sont « dans le même bain » (la question des piscines scolaires est en sous-texte), « portent les mêmes couleurs » et « pensent par eux-mêmes », etc. Le titre de la campagne, « C’est ça, la laïcité », ne peut qu’interpeller le lecteur, dans la mesure où il n’appelle ni l’interprétation ni le questionnement de la notion, immédiatement essentialisée. « C’est ça », donc, ça va de soi : c’est le symbole de l’évidence intériorisée, de la suspension de la critique. Cette formule désigne, indique et nomme – et l’on connaît le pouvoir de nommer – un concept lisse, sans aspérités, qui n’appelle plus de glose ni d’histoire ou de sociologie, mais qui doit être accepté tel quel, sous les auspices d’un rationalisme abstrait et universaliste.
Dans ses Réflexions sur la question juive (1946), Jean-Paul Sartre en avait souligné les écueils, comme Roland Barthes avait décrypté le « mythe aujourd’hui » dans Mythologies (1957) ou relevé, dans L’Empire des signes (1970), à quel point il avait donné son congé au rationalisme universaliste, selon lequel l’autre était assimilable à soi (donc « même »), et inversement.
Le 22 juin 2022, le Conseil d’État, saisi pour la première fois d’un recours dans le cadre du nouveau « déféré laïcité » prévu par la loi, a confirmé la suspension, décidée par le juge des référés du tribunal administratif de Grenoble, de l’autorisation accordée par cette ville de porter le « burkini » dans ses piscines municipales. L’application de cette loi, à considérer comme une nouvelle donne, d’une part, et la position encore incertaine du nouveau gouvernement sorti des élections législatives de juin 2022 à propos de la laïcité, d’autre part, appellent un temps d’arrêt qui favorise notre propre réflexion.