Tribune

Allumez le feu… à l’Élysée !

Publié le 11/12/2023 par Vigie de la Laïcité 34
Avec Michel Miaille, Vigie de la Laïcité 34

Publié le 11/12/2023
Par Vigie de la Laïcité 34
Avec Michel Miaille, Vigie de la Laïcité 34

Allumez le feu… à l’Élysée !

Les gazettes ont toutes frémi à l’annonce de l’allumage de bougies à l’Élysée, pour la fête d’Hanoukka, le 7 décembre 2023 dernier.

Rappelons que cette fête juive, célèbre une victoire, celle de Judas Maccabée sur l’empire grec au IIe siècle de notre ère. Cette victoire permet la restauration du Temple de Jérusalem et donc symbolise la victoire de la lumière sur les ténèbres. C’est une fête assez joyeuse où l’on allume des bougies en famille et qui est célébrée par la plupart des familles israélites, même non pratiquantes.

La nouveauté, cette année, c’est que pour la première fois, cette fête a été célébrée… à l’Élysée dans le cadre de la remise d’un prix au président Emmanuel Macron, pour la lutte de la France contre l’antisémitisme. Si tous les cultes de notre pays étaient présents à cette cérémonie, c’est la délégation conduite notamment par le Grand Rabbin de France, Haïm Korsia, qui célébrait l’événement.

Déjà, une ambiguïté : n’était-il question que du prix de la France pour sa lutte contre l’antisémitisme… ou était-ce une première, la célébration d’une fête juive à l’Élysée ? Or, la présidence de la République est d’abord le siège du chef d’un État laïque et doit, comme tous les bâtiments publics, demeurer neutre par rapport à toute célébration religieuse.

Au moment où des groupes plus ou moins bien intentionnés tentent d’imposer des crèches dans les mairies, ou dans d’autres bâtiments publics, et où ils sont déboutés par décision de justice, il est, pour le moins, inopportun que le siège du pouvoir exécutif en France offre ses salons pour une célébration religieuse, avec bougies, prières et chant !

On pourrait, par ironie, dire que cette cérémonie aurait pu avoir lieu à la préfecture de Strasbourg où du fait du maintien du Concordat, la légitimité de cette cérémonie pourrait être soutenue. Mais alors il faudrait prévoir une messe et un culte protestant, dans la foulée ! afin de respecter l’égalité des cultes reconnus depuis Bonaparte.

Plus sérieusement, le fait-divers mérite d’être analysé.

Il est vraisemblable que le Président qui avait refusé, sans vraiment argumenter, de participer à la grande manifestation contre l’antisémitisme, pourtant lancée par le président du Sénat (2e personnage de l’État) et par la présidente de l’Assemblée nationale, voulait se rattraper ! Mais l’idée n’était pas bonne et ce, pour deux raisons :

La première est que le principe de laïcité est un des quatre principes caractérisant la République Française selon notre Constitution et que cette laïcité, si elle s’appuie en premier sur la liberté des citoyens (mais non des agents de l’État) se fonde en second sur le principe de Séparation qui, sauf les aumôneries, suppose que la République « ne reconnait » aucun culte, c’est à dire ne leur donne aucune reconnaissance officielle. Or, avec cette cérémonie, il y a de fait, une reconnaissance du culte israélite. Alors que fera-t-on si, demain, les chrétiens ou les musulmans ou d’autres religieux proposent une petite cérémonie de leur choix à l’Élysée ? Certes, le général de Gaulle avait fait installer, à l’Élysée, une petite chapelle pour y écouter la messe le dimanche, en famille : mais c’était dans les appartements privés de l’Élysée qui n’ont rien à voir avec les salons officiels et la présence d’un public.

La deuxième raison, c’est que le principe même de laïcité devient ambigu : déjà les propos ouvertement pro-catholiques de Nicolas Sarkozy au Latran avaient de quoi émouvoir des citoyens, même, s’ils étaient officiellement prononcés dans une église de Rome et pour la remise d’une distinction (chanoine du Latran) qui n’a aucune valeur pour nos institutions.

Mais ici, nous sommes en France, en dehors d’un cadre diplomatique et dans un palais de la République, et pour une cérémonie officielle. Cet incident relance le débat sur le contenu du principe de laïcité, au moment même où celui-ci fait l’objet de débats, pas toujours bien intentionnés. Curieusement, le principe de laïcité est aujourd’hui interprété moins comme une liberté que comme une « valeur » à laquelle les citoyens devraient adhérer. Mais ici le renversement est assez notable : la laïcité pourrait aussi devenir une « culture » commune avec la participation des religions. Ce n’est plus le principe de Aristide Briand, ni des parlementaires qui ont voté la loi. Ce n’est plus la notion inscrite dans notre Constitution : c’est autre chose. Une sorte de culture religieuse qui serait intégrée dans nos pratiques… et demain dans nos textes ?

Notre protestation n’est pas archaïque comme le pensent certains ou intolérante comme le disent d’autres : elle est le pur état de notre droit. On attend que l’Élysée entende cette protestation.

Michel Miaille (Vigie de la Laïcité 34)

 

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