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Se débrouiller avec la laïcité ?

Publié le 15/03/2024 par Vigie de la Laïcité
Avec Camille Taillefer

Publié le 15/03/2024
Par Vigie de la Laïcité
Avec Camille Taillefer

Depuis mes presque 20 ans de métier en Seine Saint-Denis, de mes années d’études aussi dans des établissements dans lesquels il était banal d’être inscrit au catéchisme ou de fréquenter l’aumônerie, j’ai tiré quelques enseignements qui ont trouvé une expression assez complète dans le podcast Tenue laïque exigée1https://www.arteradio.com/son/61679779/tenue_laique_exigee, un documentaire de Marina Julienne et Irène Berelowitch, réalisé avec une classe de première du lycée Paul Éluard l’année scolaire dernière.

« Comment vous vous débrouillez avec la laïcité ? ». Autour de cette question, volée à Marceline Loridan2Chroniques d’un été, film documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, 1961., nous avons récolté les témoignages et points de vue de différents acteurs d’une communauté scolaire, à commencer par les élèves. « Ça voudrait dire qu’il y a quelque chose d’embrouillé … qu’il faut bricoler. C’est pas si faux. » [Julie, enseignante en arts plastiques] Tout le monde s’accorde pour dire que oui, il y a bien quelque chose à débrouiller, et tous et toutes nous nous y employons. Avec cette enquête nous avons travaillé à débrouiller ce qui relevait de la loi et ce qui n’en relevait pas, on a écouté aussi celles qui, avec ou sans voile, ont des « envies et des idées ».

« La pire chose c’est pendant l’hiver, on est bien au chaud et tout avec notre voile et tout, franchement on se sent déshabillé d’un coup, moi je trouve que c’est aussi humiliant. J’accorde mon voile avec ma robe et arrivé au lycée : “enlève ça !” C’est archi violent. » [Yasmine, élève de première]. Alors que, « Dans la banlieue on s’ouvre facilement aux religions, on a une ouverture d’esprit. La laïcité c’est la neutralité mais ça ne nous empêche pas d’en parler. C’est pas la négation de la religion » [Carla, élève de première]. « La Seine Saint-Denis m’a appris ce que c’était que la laïcité » conclut Camille [enseignante en histoire-géographie].

Mais pour une autre enseignante, la laïcité, « ça veut dire : je mets de côté ma religion, ma culture pour entrer à l’école, dans la rationalité » [Fanny, enseignante de lettres]. Et Binta de lui répondre : « Vous pensez que c’est un très beau signe symbolique, moi je trouve que c’est un coup de couteau parce qu’en fait je viens, je pose mes valeurs devant la porte après je les reprends quand je sors. Non, pour moi je dois m’appuyer dessus pour apprendre à l’école. Pour moi les deux ne sont pas incompatibles. » [Binta, élève de première].

C’est alors dans la relation, le regard et la réciprocité que se joue la laïcité. « Je ne supportais pas tous ces regards là qu’on portait sur moi. Avec voile ou sans voile je reste la même personne, je reste moi-même, je reste Lydia. » [élève de première] « Je suis pas un objet, je suis pleine d’idées, je suis une vie ! » pose Yasmine [élève de première], qui décide d’arrêter l’option théâtre : « Le problème c’est que j’aime beaucoup aller au théâtre aussi le soir et en plus j’ai envie de participer dans le public et me dire que tout le monde va me regarder alors que je n’en ai pas envie ça me bloque ». « Là c’est dramatique pour moi », réagit Loïc, son enseignant de théâtre, « ça signe complètement notre échec car on ne peut pas se satisfaire d’exclure, on ne peut pas se dire qu’au motif de vouloir garantir l’émancipation, l’épanouissement des esprits, la liberté de penser et l’esprit critique et bien on va exclure. Si le fait de souhaiter porter le voile empêche à un moment donné de suivre l’enseignement du théâtre alors on a complètement raté ce qu’on essaye de faire avec l’école publique. »

Il s’agit de dépasser cet échec. Explorer ensemble la question de la laïcité, plutôt que de « rappeler à la loi », engage une construction éducative. Aujourd’hui, Yasmine n’est plus l’objet d’une loi, mais l’actrice d’un questionnement partagé avec les autres. Elle veut « être impliquée dans une société, bouger les choses ». Une citoyenne.

 

Heureusement, on n’a pas fini de se débrouiller avec la laïcité !

 

Camille Taillefer
Professeure d’histoire-géographie au lycée Paul-Éluard de Saint-Denis

Notes de bas de page

  • 1
    https://www.arteradio.com/son/61679779/tenue_laique_exigee, un documentaire de Marina Julienne et Irène Berelowitch
  • 2
    Chroniques d’un été, film documentaire de Jean Rouch et Edgar Morin, 1961.

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