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120 ans après, la loi du 9 décembre 1905 est-elle toujours adaptée ?

Publié le 03/11/2025 par Vigie de la Laïcité
Avec Nicolas Cadène

Publié le 03/11/2025
Par Vigie de la Laïcité
Avec Nicolas Cadène

Il est courant d’entendre dans le débat public l’affirmation selon laquelle, « la loi de 1905 n’est plus adaptée car elle séparait d’abord l’Église catholique de l’État avec une absence de prise en considération des autres cultes, en particulier de l’islam ». Cette démonstration est fausse et tout à fait infondée.

En réalité, déjà en 1905, l’ensemble des cultes étaient concernés. La loi de 1905 a été pensée et rédigée de façon à être parfaitement adaptée à toute évolution du paysage religieux français.
La loi du 9 décembre 1905 concerne « la séparation deS ÉgliseS et de l’État ». Par « Églises », il faut entendre l’ensemble des organisations religieuses. Son article 2 dispose que « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », en opposition à la précédente période régie sous le régime cultuel du Concordat et des articles organiques signés par Napoléon Bonaparte en 1801 (avec le Vatican) et 1802.

La rédaction de la loi du 9 décembre 1905 assure donc son intemporalité. Quelle que soit la situation religieuse et convictionnelle du pays, elle est adaptée, en assurant la liberté de conscience et en permettant son expression dès lors qu’elle ne trouble pas l’ordre public.

Cette loi de séparation devait également s’appliquer dans les colonies et en Algérie (dont la population est très largement de confession musulmane), dans des « conditions » que devaient déterminer des « règlements d’administration publique »1L’article 43 de la loi prévoit explicitement que des règlements d’administration publique (RAP) fixeront « les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies ». Autrement dit, le principe est l’extension, mais sa mise en œuvre est renvoyée à des décrets d’application locaux..

Pourtant, malgré l’extension des dispositions de la loi de 1905 aux trois départements algériens par le décret du 27 septembre 19072Le décret du 27 septembre 1907 « détermine les conditions d’application en Algérie des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public des cultes ». Ce décret organise le passage au régime de 1905, mais dans un cadre colonial spécifique. Les conditions posées aux associations cultuelles en Algérie par ce décret, notamment la pleine citoyenneté française exigée pour leurs responsables, ont de facto écarté les musulmans (alors non citoyens) de la pleine application du régime 1905., l’État n’a jamais cessé d’exercer un contrôle prononcé sur l’exercice du culte musulman, en accordant notamment des indemnités au personnel cultuel en contre-partie d’agréments et en réglementant le droit de prêche dans les mosquées domaniales (circulaire Michel du 16 février 1933)3Ainsi par exemple, les prêches des oulémas réformistes étaient interdites dans les mosquées domaniales..

Les milieux musulmans locaux ont réagi en exigeant de bénéficier de la laïcité et donc de la même liberté que les cultes en métropole. L’émir Khaled, petit-fils de l’émir Abd el-Kader, avait ainsi adressé le 3 juillet 1924 une lettre en ce sens à Édouard Herriot, président du Conseil. Par la suite, l’Association des oulémas réformistes du cheikh Ben Badis a formulé un ensemble de propositions destinées à appliquer à l’islam algérien le statut de droit commun des religions, propositions qui ont été reprises par la plupart des formations politiques musulmanes dans les années 1930 : création d’associations cultuelles et d’un Conseil supérieur islamique, convocation d’un congrès religieux chargé de définir l’organisation définitive du culte musulman conformément à la loi du 9 décembre 1905.

Ces initiatives n’ont cependant trouvé aucun écho auprès des autorités françaises. Bien que la loi du 20 septembre 1947 portant statut organique de l’Algérie ait réaffirmé l’indépendance du culte musulman à l’égard de l’État dans le cadre de la loi de 1905, ces pratiques ont perduré jusqu’à l’indépendance, en 1962.

L’attitude de la République était dictée par des considérations coloniales davantage que religieuses. Du fait du refus de la République de reconnaître la citoyenneté française aux musulman·es, les instances religieuses ont eu, en Algérie, un rôle de gestion civile. Aux yeux des autorités, il importait dans ces conditions de maintenir le culte sous la dépendance de l’État pour mieux en contrôler l’exercice.

Comme l’écrivait Roger Fauroux en 2000, « cet épisode de non-application de la loi de 1905 est parfois présenté comme symptomatique de l’incapacité de la République française à considérer l’islam sur un pied d’égalité avec les autres religions. Il a en tout état de cause eu pour effet de créer un lien entre le religieux et le civil dont on retrouve encore les traces aujourd’hui ». Et ce, d’autant plus que les juifs d’Algérie, à l’inverse des musulmans, étaient considérés comme pleinement citoyens français depuis le décret Crémieux de 1870.

Notes de bas de page

  • 1
    L’article 43 de la loi prévoit explicitement que des règlements d’administration publique (RAP) fixeront « les conditions dans lesquelles la présente loi sera applicable en Algérie et aux colonies ». Autrement dit, le principe est l’extension, mais sa mise en œuvre est renvoyée à des décrets d’application locaux.
  • 2
    Le décret du 27 septembre 1907 « détermine les conditions d’application en Algérie des lois sur la séparation des Églises et de l’État et l’exercice public des cultes ». Ce décret organise le passage au régime de 1905, mais dans un cadre colonial spécifique. Les conditions posées aux associations cultuelles en Algérie par ce décret, notamment la pleine citoyenneté française exigée pour leurs responsables, ont de facto écarté les musulmans (alors non citoyens) de la pleine application du régime 1905.
  • 3
    Ainsi par exemple, les prêches des oulémas réformistes étaient interdites dans les mosquées domaniales.

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